Skip to main content

Babi Badalov, « Lost in Languages »

Deux fois par an, les partenaires de la galerie Colbert sont désormais invités à tour de rôle à présenter une œuvre  ou un artiste de leur choix. Pour sa première participation, le centre André-Chastel a choisi de montrer au public Babi Badalov, un artiste né à Lerik en Azerbaïdjan en 1959 et naturalisé français en 2018, après trente années d’exil (Russie, États-Unis, Europe).

L’exposition « Lost in languages » interroge la perte de repères engendrée par un trauma, qu’il soit lié à l’Histoire ou à une situation personnelle. Son errance a valu à Babi Badalov de maîtriser un grand nombre de langues, mais l’art aussi de la syncope linguistique, source d’une poésie libérée des conventions orthographiques et syntaxiques, qui joue et rejoue le sens des mots dans une perspective littéraire, plastique et politique.

À la fois écriture et dessin, la poésie visuelle de Babi Badalov s’inscrit dans une tradition pictographique et ornementale, celle des avant-gardes du XXe siècle et de la calligraphie orientale. Elle se déploie sur des supports à portée de main de quiconque : ici des tissus, là un mur, ailleurs des collages. La récupération et le recyclage, qui ont pu être pour l’artiste des pratiques contingentes, relèvent surtout d’une économie morale et d’une éthique de la modestie.

Depuis la galerie Colbert, le passant appréhende l’histoire de l’art sur un mode accéléré, de Botticelli à Joseph Beuys ; dans le hall Rose-Valland, le visiteur décrypte un assemblage de pièces de tissu qui se décline en 4 séquences. La première amène à réfléchir à ce que nous avons nommé l’« art contemporain », peut-être un alphabet parmi d’autres ; les deux suivantes mettent l’art face à l’histoire des XXe et XXIe siècles, et aux tragédies humaines qui en sont la marque ; la dernière appelle à une catharsis qui trouverait son expression la plus juste dans une écriture dont le sens serait en suspens, comme en attente d’ une langue artistique universelle.

Pesanteur, fluidité et transparence confèrent une vie propre à chaque pièce textile, suggérant vêtements, drapeaux, tapis de prière ou feuillets de parchemin. Enfin, une peinture in situ instaure un dialogue avec l’œuvre Another Message (VISA) (2000) de Mircea Cantor, mais aussi avec toute la communauté estudiantine rassemblée à l’INHA, en posant des questions sur le devenir de l’art. Agentivité de l’écriture, dessin rhizomatique et patchwork de tissus sont au service d’un art visuel analysant et condensant la réalité de l’artiste et l’état du monde. Deux mots suffisent à Babi Badalov pour le définir : « emotional conceptual ».

L’ intervention de Babi Badalov a été conçue et organisée par Isabelle Ewig, maîtresse de conférences en histoire de l’art et Lou-Justin Tailhades, étudiant-stagiaire du master 2 professionnel « L’art contemporain et son exposition » de la Faculté des Lettres de Sorbonne Université.